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Chroniques
Hans Pfitzner
Palestrina
Composé sur un livret d’Hans Pfitzner lui-même, Palestrina est imaginé sur le modèle des Meistersinger von Nürnberg (Wagner) et du plus tardif Mathis der Maler (Hindemith) : raconter la vie d’un artiste durant le processus créatif d’un chef-d’œuvre – pour le premier une nouvelle manière de concevoir le poème lyrique, pour le second le fameux retable de Matthias Grünewald. Cet opéra présente de façon romancée et assez libre la vie du musicien Palestrina au moment de la création de sa Missa Papae Marcelli. Crée en 1917 par Bruno Walter puis rejoué dès 1920 par Otto Klemperer, il est ensuite quasi oublié, moins pour des raisons strictement musicales que parce que le compositeur, septuagénaire dans ces années-là, s’était fortement impliqué aux côtés du pouvoir nazi.
Ces dernières années, cet oubli relatif n’empêche pas quelques chefs de le jouer et de l’enregistrer, parmi lesquels Christian Thielemann (Concerto pour piano Op.31, avec diverses pièces d’orchestre), Ingo Metzmacher (Von Deutscher Seele) ou encore Simone Youn [lire notre critique du DVD]. Ici, nous est proposée la version de Kirill Petrenko d’après un live de grande qualité, issu des représentations de 2010 à Frankfurt – en plus du texte original et de sa traduction anglaise, la notice offre de nombreuses photos de la mise en scène de Kupfer. La prise de son favorise légèrement les voix et privilégie peut-être trop les cordes graves et les bois par rapport aux premiers violons, parfois trop en retrait.
Cette année-là, Kirill Petrenko est un jeune chef qu’on découvrit à Lyon dans Tchaïkovski [lire nos chroniques du 27 janvier 2007 et du 9 mai 2010] ; il n’est pas encore le prodige dont on parle aujourd’hui, génial directeur musical de la Bayerische Staatsoper [lire nos chroniques du 7 décembre 2013, du 4 janvier et du 31 mai 2014] et désormais présent à Bayreuth [lire notre chronique du 19 août 2013]. Mais sa lecture de Palestrina est déjà assurée et très personnelle, servant avec grande clarté cette partition postromantique dont il imbrique tous les thèmes symphoniques avec lumière et précision. Par un soutien permanent et des passages sublimes (début de la Scène III de l’Acte I, par exemple), il évite le moindre ennui pendant les trois heures que dure l’ouvrage, bien qu’il manque parfois à son pathos intrinsèque (notamment dans le troisième prélude et à la fin du III).
Souvent issue de la troupe hessoise et tous germanophones, les chanteurs sont de haut niveau, sans toutefois égaler ceux des versions de références (Rafael Kubelík, Robert Heger). Wolfgang Koch a la gravité du rôle de Borromeo et tient parfaitement tout le monologue du premier acte (près de quinze minutes) – il n’a cependant ni le timbre ni le souffle d’un Fischer-Dieskau ou d’un Hotter. Peter Bronder est un Palestrina plus que correct, bien qu’en-dessous vocalement de Nikolaï Gedda et Julius Patzak. Ighino (le fils) est agréablement porté par le soprano Britta Stallmeister et répond à la belle prestation du mezzo Claudia Mahnke (Silla). Frank van Aken a le timbre nasal qu’on lui connaît, ce qui n’est pas une gêne dans le rôle de Novagerio. Johannes Martin Kränzle déçoit quelque peu par une carence de couleur et de profondeur dans la partie du légat Morone, tout comme Dietrich Volle, un peu court en Avosmediano, et Michael Nagy qui n’a pas le temps de s’approprier le trop court texte du comte Luna.
Ce coffret Oehms Classics reste toutefois une belle réussite globale, importante pour continuer à faire redécouvrir l’opéra de Pfitzner. Il vaut avant tout pour l’éclairage nouveau que lui apporte Kirill Petrenko, à la tête du Frankfurter Opern und Museumorchester, sans surpasser les deux versions citées.
VG